Du pèse-personne aux promesses d’immortalité, est-il possible de définir un écosystème de la santé connectée?
Le propos du présent article n’est pas de faire un compte rendu de ce colloque, au demeurant très intéressant et animé par des orateurs de haut niveau, mais plutôt d’épiloguer et de susciter quelques réflexions de fond chez le consommateur. Si la plupart des secteurs de la santé étaient représentés il faut, à mon avis, regretter l’absence d’un représentant du secteur pharmaceutique qui aurait pu significativement enrichir le débat.
Dès le début du colloque, une première mise au point extrêmement importante a été faite, ce qui a eu l’avantage de clarifier la suite des discussions. Il faut en effet bien faire la différence entre
les dispositifs médicaux connectés se référant à des normes et des règlementations nationales et européennes utilisés par les professionnels de la santé et qui permettent d’effectuer des mesures précises et de stocker des informations pertinentes pour la santé des patients ;
les objets connectés de bien être utilisables par le consommateur sans l’intervention de professionnels de la santé et qui ne font en général pas l’objet de normes particulières, en tous cas … pas encore ! Ce sont par exemple les bracelets connectés qui vous donnent le nombre de pas réalisés dans la journée et autres pèse-personne capables de vous donner des conseils diététiques.
Ces deux catégories ont néanmoins quelques points communs qui devraient inquiéter les consommateurs, a commencer par la question de la protection des données personnelles qui sont ainsi captées, enregistrées et transmises. Malheureusement, il semble bien qu’aucun de ces dispositifs, qu’ils soient médicaux ou grands public, n’offrent à ce stade de garanties suffisantes pour la protection des données personnelles et le respect de la vie privée.
Il faut à ce sujet saluer l’intervention remarquable faite par Madame Délia Rahal-Löfskog, chef du service de la santé à la direction de la conformité à la CNIL, qui a tenu un langage réaliste en ce qui concerne la protection des données personnelles sans tomber ni dans la paranoïa ni dans l’autosatisfaction. Les données personnelles sont devenues la toute première source de revenus dans le monde. Le marché noir et le marché gris de la donnée personnelle sont une réalité. Le seul moyen de lutter efficacement contre le cyber trafic des données personnelles est une action coordonnée de toutes les parties concernées, y compris des consommateurs dont la vigilance doit être en permanence aiguisée par le biais de la formation et de l’information. Cette approche est d’ailleurs parfaitement résumée par l’expression « privacy by awarness » (protection de la vie privée par la connaissance).
Les autres dangers qui méritent aussi toute notre attention sont d’une part, la propension à l’autodiagnostic et l’automédication et d’autre part, la tendance à l’excès de confiance de la part des professionnels de la santé envers des systèmes qui ne sont, et qui ne doivent rester, que des auxiliaires à la prise de décision. Avec l’amélioration permanente des algorithmes d’analyse de données et l’arrivée imminente de l’intelligence artificielle, il est sans doute nécessaire et urgent d’organiser et de coordonner cette vigilance particulière.
Un autre péril pour les consommateurs est une tendance à renforcer et à révéler l’hypochondrie qui sommeille en chacun de nous. D’ailleurs, l’un des intervenants, le docteur Jacques Lucas, entre autre vice-président du Conseil National de l’Ordre des médecins, a employé le terme très imagé de « cyberchondrie ».
Evidemment les applications des objets connectés liées à la « Silver Economy » sont très nombreuses et sans doute appréciables pour le confort et la santé de nos aînés. Nous risquons toutefois d’entrer en plein paradoxe et, tout en voulant améliorer leur quotidien, nous risquons aussi de fragiliser les personnes âgées en leur offrant des technologies qu’ils ne peuvent maîtriser, ce que les arnaqueurs de toutes sortes ne manqueront pas d’exploiter.
Le secteur des assurances est naturellement très attentif à l’importance des données personnelles médicales pour optimiser au mieux le service aux assurés dans un cadre réglementaire bien défini. C’est en tout cas la position officielle des assureurs français, sauf qu’outre atlantique et ailleurs la tendance ne semble pas correspondre à cette orientation vertueuse propre à l’Europe.
Ne négligeons pas le danger potentiel de l’utilisation des données personnelles médicales par des organisations à but lucratif dont l’objectif serait de manipuler ou de faire pression sur le consommateur pour, par exemple, gagner des marchés et augmenter leurs profits. Certes, en France et en Europe, nous avons l’avantage de posséder un encadrement réglementaire … tout comme cela est le cas pour la mesure de la pollution des moteurs diésel !!
Dans le même registre, la circulation des données personnelles médicales (autorisée ou non) présente un danger non négligeable de discriminations de toutes sortes (déclarées ou non), comme par exemple dans les procédures de promotion, de recrutement et de licenciement. Il est sans doute nécessaire à ce stade de rappeler que ce qui caractérise le trafic des données d’une manière générale, est l’extrême difficulté à les récupérer et à effacer l’éventuel préjudice. Une fois que les données circulent ou sont captées, il est quasiment impossible de revenir en arrière.
Pour conclure il est unanimement reconnu que la technologie des objets connectés constitue un progrès inestimable pour l’amélioration de nos systèmes de santé sous réserve de la maitrise des données et de l’usage qui en est fait.
Trois citations faites par certains intervenants, recueillies à la volée :
« Il n’y a pas de médecine sans médecin »
« Une charte du bon usage des données personnelles médicales doit être envisagée »
« Les consommateurs doivent se bouger ! »
Les informations sur ce colloque se trouvent sur le site de l’INC