Les prix de certains médicaments notamment utilisés pour soigner le cancer sont à la fois exorbitants et injustifiés et menacent à terme notre système de santé. On pourrait ainsi craindre des inégalités de traitement entre les patients.
Par exemple, un traitement soignant une forme de mélanome grâce à une nouvelle molécule, déjà commercialisée aux Etats-Unis le Keytruda arrivera bientôt en France. Le prix avancé pourrait atteindre 100 000 euros/an/patient ! Qui osera dire « le traitement existe mais nous n’avons pas les moyens ? » Qui choisira ceux qui pourront en bénéficier ? Rappelons que ces traitements médicamenteux sont aujourd’hui entièrement pris en charge par l’Assurance Maladie.
Certes, il s’agit de molécules innovantes, les traitements contre le cancer ont beaucoup évolué : grâce à ces nouveaux médicaments. Il est maintenant possible d’allonger la durée de vie des patients dans des conditions satisfaisantes voire apporter une rémission, notamment pour des pathologies où il n’y avait pas toujours d’espoir.
Mais pourquoi une telle inflation des prix par rapport aux anciens traitements?
La justification de l’industrie pharmaceutique est simple mais elle n’est pas acceptable. Elle explique que cette situation serait la conséquence logique de la pratique des traitements ciblés. Auparavant, le même médicament était destiné à un grand nombre de patients alors qu’actuellement il s’adresse à des sous-groupes de malades parce que l’on sait mieux identifier les différents types de tumeurs, mieux connaître les mécanismes biologiques du cancer donc parvenir à des traitements plus personnalisés et plus efficaces. Or, l’industrie pharmaceutique souhaite le même retour sur investissement donc la même rentabilité quand le médicament traite plusieurs dizaines de milliers de personnes ou simplement quelques milliers.
Il n’est pas question de nier l’efficacité de ces nouvelles molécules. Le problème est uniquement économique, l’industrie pharmaceutique cherche à savoir ce que les marchés sont capables de supporter. Notons, d’ailleurs, que les écarts de prix sont très importants d’un pays à l’autre.
Le calcul du prix doit tenir compte de l’investissement consacré à la Recherche et Développement (R&D). Compte tenu des nouvelles méthodes technologiques (et souvent de l’apport de la recherche fondamentale publique), la charge financière sur la R&D a globalement diminué. La charge de la R&D ne suffit donc plus à expliquer les prix très élevés pratiqués. Elle ne représente généralement que 15% du coût global tandis que le marketing peut atteindre 30%….Sans doute ne faut-il pas oublier l’influence des systèmes boursiers : une présentation bien avant la mise sur le marché de résultats d’essais cliniques prometteurs et Hop ! Les actions grimpent et le premier tour de la fixation des prix est presque joué!
En France, le prix du médicament est fixé et négocié dans le plus grand secret par le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) et les firmes pharmaceutiques. Le prix est proposé en fonction de 2 critères :
-Le rapport Bénéfice/Risque du médicament (intérêt sanitaire) et le service rendu ;
– Le respect des objectifs de dépense de santé (intérêt économique).
D’âpres discussions essaient de rapprocher les arguments des industriels et du CEPS,mais le gagnant n’est pas toujours l’intérêt collectif ! Des mécanismes d’ententes ont d’ailleurs déjà été dénoncés. L’arrivée sur le même champ thérapeutique de nouveaux médicaments « permet de négocier une nouvelle décote » (CPES).
On voit donc que les considérations économiques sont extrêmement prégnantes et risquent à plus ou moins long terme de mettre en cause l’égalité d’accès aux soins des patients face aux médicaments innovants. Un ancien président du CEPS, en 2012 déclarait : « Toute amélioration du service rendu au patient est jugée supportable au plan financier par la société mais cette prise en charge solidaire a toutefois des limites » (Gilles Johanet).
Cette question déborde le champ du cancer; des interrogations du même ordre se sont posées pour un nouveau traitement de l’hépatite C, (environ 46000€ pour 12 semaines de traitement) pourtant très efficace.
Le système français pourra-t- il rester solidaire et équitable? Ressemblera t-il à celui de la Grande Bretagne où il existe un processus d’évaluation du prix d’une année de vie! Le QUALY (QualyAdjusted Life Year) c’est-à-dire l’application des théories économiques à la santé publique. Ainsi, si le coût annuel du traitement médicamenteux est supérieur au « prix évalué d’une année de vie », alors le médicament n’est pas remboursé.
Un tel modèle aurait sans doute du mal à s’imposer en France mais l’absence de transparence sur le prix du médicament peut faire craindre une approche prioritairement budgétaire voire utilitariste.
Le consommateur est bien démuni en ce domaine dans la mesure où il ne détient pas les informations nécessaires à sa vigilance.
Il appartient aux associations non seulement de patients mais aussi de consommateurs de demander plus de transparence dans l’arbitrage de la fixation des prix afin de définir un « juste prix » qui tiendrait compte de la R&D et d’un retour sur investissement raisonnable. C’est une question d’abord d’éthique et d’équité, même si elle est aussi économique. Le système de santé appartient à tous et n’a pas à supporter la promotion des médicaments au détriment de l’intérêt de chacun et par conséquent de la santé publique.